« La pensée d’un homme est avant tout sa nostalgie. » (Le mythe de Sisyphe – Albert Camus).

Internet foisonne de sites, de blogs, et autres espaces de discussion consacrés à Albert Camus. De même, une multitude de spécialistes : philosophes, écrivains, professeurs, critiques ou historiens, ont décortiqué l’oeuvre et analysé l’écrivain. C’est la raison pour laquelle je ne me hasarderai pas sur ce terrain réservé aux érudits.

Albert Camus a vécu, une partie de son enfance, au numéro « 93 » de la rue de Lyon, dans le quartier de Belcourt à Alger. Les anciens, autant dire nos familles, l’ont connu, et se sont parfois liés d’amitié avec lui. Ils ont fréquenté, ensemble, l’école de la rue Aumerat ou ont appartenu à la même équipe de football.

Être Belcourtois signifiait appartenir à une famille humble, pour ne pas dire pauvre. La destinée d’une vie d’ouvrier toute tracée par avance, un quotidien fait du plaisir simple de la mer et du soleil, mais aussi de préoccupations financières en fin de mois, voilà ce qui rapprochait tout ce petit peuple. Albert était un enfant parmi les autres, mais pas tout à fait un enfant « comme les autres ». Son instituteur M. Germain, a rapidement décelé chez lui le talent, le génie naissant de l’écriture et de la réflexion. Il est parvenu à convaincre sa mère de lui faire poursuivre des études, une mère veuve et illettrée qui devait « faire des ménages » à Belcourt pour faire vivre sa petite famille.

Aujourd’hui encore, ceux que l’on appelle les Pieds-Noirs, sont admiratifs et reconnaissants envers cet homme qui a écrit son amour de l’Algérie comme personne parmi nous ne pourra jamais le faire. Lu et relu, dix fois, cent fois, si le « Premier homme » nous bouleverse toujours autant, c’est que nous puisons dans cette oeuvre miroir, le souvenir même de notre enfance.

Belcourtois de la dernière génération, si nous n’avons pas pu le connaître, ni même le rencontrer, il nous a été donné parfois de sentir sa présence furtive ou tragique. Dans les premiers jours de 1960, lors de sa mort, les caméras de télévision se sont invitées parmi les élèves éberlués d’une classe primaire de l’école Aumerat – élèves dont je faisais partie – puis dans l’entrée de son immeuble.

Dans « L’Envers et l’Endroit », Camus écrit à la troisième personne :

« Ce quartier, cette maison ! Il n’y avait qu’un étage et les escaliers n’étaient pas éclairés. Maintenant encore, après de longues années, il pourrait y retourner en pleine nuit. Il sait qu’il grimperait l’escalier à toute vitesse sans trébucher une seule fois. Son corps même est imprégné de cette maison. Ses jambes conservent en elles la mesure exacte de la hauteur des marches. Sa main, l’horreur instinctive, jamais vaincue, de la rampe d’escalier. Et c’était à cause des cafards. »

Imprégnés de notre maison, de nos rues, de notre quartier, nous le sommes à jamais. Cette odeur de cave qui régnait dans ces petits immeubles où les cafards étaient rois, ces mots réveillent en nous tout un passé, tout un vécu. Ainsi, nous sommes tous un peu des Camus, mais comme des magiciens dépourvus du pouvoir de l’écriture et de cette intelligence qui furent siens.

Je suis né en 1947 et j’ai habité le 94 de la rue de Lyon. Il s’en est fallu de si peu pour que je remonte la rue Aumerat, ou la rue de l’Union, à ses côtés, bavardant en camarades ou se confiant entre amis. C’est pour moi, l’histoire d’un grand rendez vous manqué, pour être né trop tard…



L’enfant Albert Camus à l’école Aumerat de Belcourt


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L’appartement de la famille Camus au 93 de la rue de Lyon à Belcourt


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Le cimetière de Lourmarin dans le Lubéron

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